Jérôme Savonarole et la "république " chrétienne de Florence: un exemple de dictature théocratique dans la péninsule italienne à la fin du XVe siècle

Le combat en faveur du rejet des religions du Livre et de leur implication dans le pouvoir temporel est une nécessité afin de garantir la liberté de chaque citoyen. L'opinion commune nous dit que le christianisme serait la religion monothéiste la plus en faveur du libre arbitre des hommes et des femmes. Mais vous le savez bien, cette puissance religieuse a asservi les esprits des européens jusqu'à très récemment et certaines périodes de notre histoire démontrent que cette religion s'est imposée jusqu'à remplacer le pouvoir temporel.

Ici, je souhaiterais présenter Jérôme Savonarole (1452-1498), un prédicateur dominicain qui a réussi à mettre en place une théocratie obscurantiste dans une des villes italiennes les plus florissantes en terme culturel à la fin du quattrocento.

La joie de vivre en une peinture.

Issu d'une famille d'une ancienne noblesse, Jérôme Savonarole est destiné à devenir médecin. Néanmoins, il préfère les lectures des Pères de l’Église à Hippocrate. Lors de ses études à l'Université de Bologne, il se lamente des manières décadentes de ses camarades: " Pour être ici considéré comme un homme, il faut souiller sa bouche avec des blasphèmes les plus immondes, les plus brutaux, et les plus épouvantables... Si vous étudiez la philosophie et les beaux-arts, vous êtes considérés comme un rêveur; si vous vivez dans la chasteté et la modestie, comme un fou; si vous êtes pieux, comme un hypocrite, si vous croyez en Dieu, comme un imbécile" (Durant, p. 254) . J. Savonarole finit par abandonner l'université pour ainsi se dédier entièrement à la religion. Comme de nombreux hommes de la fin du XVe siècle (et du XVIe), il est terrorisé par des peurs liées à la fin du monde. Il commence à rédiger de nombreux textes marqué par les angoisses eschatologiques (cf. Crouzet) et le décadentisme, que l'on pourrait associer à une "piété-panique". Son premier ouvrage, écrit à l'âge de 20 ans (De ruina mundi), se concentre sur les péchés des hommes de son temps. A côté de cela, il réalise de plus en plus de prédications; ses sujets de prédilection étant la critique de la corruption de l'Eglise ainsi que la décadence morale de la société. Son sermon déclamé lors du carême de 1474 de Fra Michele manipula ses auditeurs, qui firent tous brûler leurs masques de festivités, leurs perruques, déguisements, leurs jeux et leurs pièces d'art sur un bûcher public. Quand il entra dans un couvent afin d'y résider, ses parents l'implorèrent de rentrer et d'abandonner ses folies. Voici sa réponse: "Aveugles que vous êtes! [...] Que puis-je dire si vous continuez à vous affliger, sauf que vous êtes mes ennemis jurés et les adversaires de la vertu? S'il est ainsi, je vous dis: Arrière de moi, vous tous qui œuvrez pour le malin!" (Durant, p. 255). Régulièrement, Savonarole s'adonnait à des flagellations, de violents jeûnes: l'enveloppe corporelle est une prison pour l'âme. De plus, en tant qu'homme mystique et prophète, il clamait recevoir les messages des anges et autres messagers du Seigneur des Cieux, annonçant à tous ceux qui croisait son chemin que Satan régnait ici-bas et que le Christ allait bientôt revenir sur Terre, jugeant tous ceux qui ne suivraient pas les préceptes chrétiens.

En 1489, le prêcheur dominicain s'établit à Florence. Il s'oppose au dirigeant de la ville, Laurent le Magnifique (1449-1492), qu'il associe à un suppôt du Diable. A la mort de cet homme d’État, son fils, Pierre II de Médicis (1472-1503), bien plus faible que son père, se fait expulser par les citoyens de Florence sous les exhortations de Savonarole. Par son habile rhétorique, il va instaurer un régime théocratique violent et répressif dans la capitale de la Toscane quatre années durant. Il proposait même que Florence soit gouvernée de manière invisible par Jésus Christ, sous une forme de théocratie. Sous les suggestions du moine dominicain, le conseil de la ville de Florence réforma les mœurs des habitants de la ville, par des lois. Les courses de chevaux sont interdites, les jeux d'argent et les chants festifs, bannis. Les femmes se doivent d'abandonner leurs vêtements fastueux, leurs fards et leurs bijoux. Ceux pris à blasphémer sont punis par une mutilation à la langue (alors que la république chrétienne proclamait interdire les tortures) et les homosexuels, punis avec sauvagerie. Savonarole forme également une jeunesse, endossant le rôle d'une police de mœurs, suivant à la lettres les préceptes du prédicateur et punissant les actes des citoyens qu'ils estimaient infamants. Savonarole disait même: "Votre réforme doit commencer par les choses de l'esprit. Vos biens temporels doivent servir à votre bien-être moral et religieux, dont ils dépendent. [...] Si vous désirez un bon gouvernement, vous devez le rendre à Dieu" (Durant, p. 266). De nombreuses œuvres d'art sont brûlées sur la place publique : peintures, manuscrits, ouvrages de poésie, etc. Des peintures de Botticelli seront à jamais perdues, dévorées par les flammes du bûcher de la piazza della Signoria, notamment au dernier jour du carnaval de 1497.

C'est à la suite de mauvais choix géopolitiques (alliance avec le Royaume de France qui abandonne l'Italie alors que des cités-Etats opposées à Florence s'allient et renforcent), des conditions climatiques défavorables durant l'année 1496 qui apportent la disette lors de l'année 1497 et les tensions politiques internes à Florence que des émeutes éclatent lors du jour de l'Ascension de 1497. C'est néanmoins en avril 1498 que les citoyens sont véritablement lassés de cette république chrétienne et autoritaire. Savonarole et ses collaborateurs sont emprisonnés, laissés à la justice et à l'autorité du Pape. Savonarole et deux de ses compagnons sont torturés par deux fois, et sont brûlés sur la place piazza della Signoria, où se tenait une année auparavant le bûcher des vanités. Florence est libérée de l'étouffante théocratie instaurée par le prédicateur, mais il lui faudra encore traverser de nombreuses crises durant le cinquecento afin de trouver une stabilité politique et de s'imposer à nouveau comme modèle en terme d'art et de culture.

Sources

Durant, Will, Histoire de la civilisation, La Renaissance, Editions Rencontre Lausanne, 1966. 446 p.
Favier, Jean « SAVONAROLE JÉRÔME - (1452-1498) », Encyclopædia Universalis
Peronnet, L. Le XVIe siècle, 1492-1620, Hachette Supérieur, 2017. 336 p.

11 « J'aime »

Merci pour cette présentation de cet asilien de compétition. Combien de petits Savonarole locaux et qui n'ont pas eu une fin aussi funeste avons-nous oubliés ?

On retrouve Savonarole dans la série Les Borgia, qui suit la famille du pape controversé de l'époque, mais aussi un peu à travers le personnage fictif de Fra Angelo dans l'excellente bande-dessinée Peau d'homme.

Cette citation est très intéressante, voilà qui contredit carrément l'idée que nos ancêtres étaient tous des chrétiens, malgré la charia chrétienne. Un nombre incalculable de gens rejetaient le christianisme et se soumettaient juste pour ne pas mal finir, ou pour s'attirer les bonnes grâces notamment par des dons conséquents à l'Église pour les plus riches. Dire que nos ancêtres étaient chrétiens c'est comme prétendre que les latinos adorent les cartels. Les gens ont juste peur pour leur vie et s'abstiennent de critiquer ouvertement, ou recherchent des avantages financiers et du travail, mais ils ne prient pas la sainte mafia quand ils doivent juste s'écraser devant elle. Être chrétien en 2021 serait incompréhensible et une honte aux yeux de la plupart de nos ancêtres ayant vécu sous domination chrétienne. Ils devaient former les prolétaires avec des cours intensifs de catéchisme quand ils voulaient en faire des domestiques. La plupart des gens ne comprenaient même pas la religion et comprenaient juste qu'il fallait s'écraser pour ne pas avoir de problème contre les puissants de ce monde. Mais être compris n'était même pas le but. Les catholiques ont pété les plombs contre tous les mouvements chrétiens de libération consistant à essayer de comprendre la religion et de s'approprier les textes, d'aller un peu plus loin que l'incompréhensible messe en latin. Et ce fut le début de la fin :grinning_face_with_smiling_eyes:

Aujourd'hui encore, l'asilien catholique Papacito fait l'apologie du massacre de la Saint Barthélemy. Entre 10 000 et 30 000 morts en France. Petit aperçu des scènes de pandémie psychiatrique induite par le yahvisme chez les européens, aujourd'hui si calmes et civilisés depuis qu'ils ont retrouvé le droit d'être athées :

7 « J'aime »

Nous voulons d’autres histoires de Madame L !

3 « J'aime »

Il faut un talent certain pour rendre un récit aussi tragique agréable à lire. Merci pour le travail que tu as mis dans cette publi, L.

Normal :upside_down_face:

Et certains caricaturent le libéralisme comme une croyance en une main invisible... Que dire ici ?

Je dois faire un aveu. La première fois que j'ai entendu Yann Meridex et Solveig Mineo parler de pandémie psychiatrique pour désigner ces religions, j'ai trouvé que c'était tout de même un poil hyperbolique. Un rien excessif. Mais depuis, j'en apprends de belles. Ce genre de choses en est un fier exemple. Imaginez-vous un chrétien qui ferait imprimer des affiches et des bulletins de vote au nom de Jésus Christ, ce serait un peu l'équivalent contemporain de ce type, au fond. J'avais donc tort ; ils ont raison : ce genre d'idéation relève de la psy clinique. C'est une sorte de dissémination fractale de la folie à deux, qui devient donc folie à quatre, folie à huit, seize, trente-deux, etc.

4 « J'aime »